lundi 12 février 2018

MA MERE, MES TANTES, L"ALGERIE ET MOI DE HUBERT ZAKINE



Mes premières années furent les plus heureuses de mon existence. 
Seul enfant mâle des filles Azoulay, couvé comme un coq en pâte, je fus conjointement élevé par ma mère, bien sûr mais également par ses sœurs et surtout par la célibataire de la famille, tata Rose, qui déversa sur moi son trop plein d'affection inassouvie. Cette femme, blessée par la vie, trouva dans le service aux autres, le remède à sa désolation. Après une carrière bien remplie d’institutrice, elle se consacra, corps et âme, à la section Algéroise de l’agence juive pour la Palestine.

J'apprenais, alors, la force de l'amour maternel de mes femmes qui enveloppa mes années enfantines. Je ne pouvais faire un geste sans déclencher un flot ininterrompu de recommandations que je m'empressais de suivre. Si par hasard, je trouvais un vieux canif, mes tantes venaient au secours de ma mère tout en l'engueulant comme si elle était coupable.

--Mélanie, tu veux que ton fils, il se coupe un doigt ?

--Donne-moi ce canif, mon fils ! Donne à tata !

--Et aussi, pourquoi il a un canif ? Renchérit sa sœur Irène.

--Comment tu veux que je le sache ? En tous cas, c'est pas moi qui lui ai donné !

--Oui, mais qui c'est qui lui a donné les sous, c'est moi peut-être ?

--Je sais pas, son père peut-être !

--Il a bon dos son père, tu crois pas ?

Et il en était ainsi dès que je bougeais le petit doigt.

Avant mon entrée à l'école maternelle, ma mère m'emmenait passer l'après-midi au jardin Guillemin, grande esplanade circulaire où s'ébattaient les enfants sous le regard bienveillant des mamans qui tricotaient tout en surveillant leur progéniture. Tous les enfants sauf moi !

Toujours à l'affût, les quatre sœurs se donnaient la main pour guetter le moindre de mes faits et gestes et m'interpeller sitôt que je dérogeais à leurs règles.

--Mon fils, tu es en nage, Viens t'asseoir à côté de nous !

--C'est ça, pourris-toi bien !

--Arrête de courir, Paulo, tu vas tomber !

Mais ces mises en garde déclenchaient automatiquement une réaction de tata Rose qui mettait le feu aux poudres.

--Laisse-le courir ! Il a besoin de se dépenser ce petit !

--Ça se voit que c'est pas toi qui le soigneras quand il aura attrapé la crève !

--Pardi ! C’est moi ou sa mère ! Protestait tata Rose.

Et ça repartait pour un tour de discussions à n'en plus finir sur l'éducation des enfants. Ces contraintes ne m'atteignaient guère car j'étais trop petit pour me rebeller contre ce que je prenais pour de l'amour maternel dont m'abreuvaient ma mère et ses sœurs.

Tout prêtait à discussion. Et rien ne me fut épargné. J’avais droit aux fous-rires, aux emportements qui dissipaient mes tétées, aux réveils brutaux lors d’une visite de mes tantes qui désiraient s’extasier sur le sommeil du petit ange. Bien sûr, j’eus droit à une fiesta judéo-arabe le jour de ma circoncision, milah qui me fit entrer dans la ronde de l’espérance juive. Douleur ou pas, je ne m’en souviens pas mais, par ce bout de chair inutile, je me distinguai pour l’éternité des autres garçons.

La première fête donnée en mon honneur dont j'eus conscience fut mon cinquième anniversaire. Depuis, le chiffre cinq m'accompagne tout au long de ma vie. Le cinq que j'entendais à longueur de journée par mes tantes et ma mère, le cinq qui était censé me protéger, le  cinq dans les yeux pour enlever le mauvais œil, le cinq en cuivre, main de fatma musulmane que la famille accrocha à l'entrée de mon appartement, juste derrière la mezouza juive qui remplissait la même fonction. Avant de partir me promener, ma mère et ses sœurs n'omettaient jamais de réciter une petite prière en hébreu pour qu'il ne m'arrive rien. Pour plus de sécurité, elles ouvraient toute grande la main au-dessus de ma tête et la mystique musulmane de la main de fatma faisait le reste.

A la fin de cette journée de dupes, je compris que si ma mère semblait la maîtresse de maison, c'était mon père qui tenait les cordons de la bourse du foyer. L'argent ne poussant pas sur les arbres, je n'eus droit qu'à un livre qui était censé m'apprendre à aimer lire. Sans le dire, mes parents avaient sans doute dans l'idée de faire de moi, un docteur. 
Heureusement, tata Rose pallia cette carence en m'offrant un vélo à quatre roues. Quant aux cadeaux des autres tantes, ils firent plaisir à ma mère mais sûrement pas à moi. Pas de ballon, de fusil, de chapeau de cow-boy. Que des vêtements et même, suprême vexation, une cravate à élastique avec une automobile en décorum. Même les gâteaux orientaux que ma mère avait confectionnés passèrent de vie à trépas en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. En garçon bien élevé, je n'eus pas le droit de me servir mais mon père eut la présence d'esprit d'en retirer quelques-uns pour son petit prince.
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