mercredi 11 janvier 2017

Extrait de TCHALEFS D'UN ENFANT DE BAB EL OUED de Hubert Zakine



LA MOUSTACHE DE TONY PERKINS



Alger, sans ses terrasses ouvertes sur la mer, c’était pas Alger. Et Bab El Oued sans ses balcons, coincé entre la blanche casbah et le bleu d’un ciel à nul autre pareil, il aurait pas le même attrait ni le même état d’esprit. Ce serait pas le Bab El Oued qu’on regrette tant.

Y faut dire que la vie au grand air, et même au grand courant d’air, les enfants de Bab El Oued y pouvaient pas s’en passer. 
Ma mère, elle a jamais aimé vivre en France et particulièrement dans la région parisienne parce que les gens, jamais y z’aéraient leur appartement. Ca sent le renfermé, elle disait ! Et elle avait raison.

Nous autres, on aimait le courant d’air de l’amitié qui soufflait et ricochait sur les murs pour s’envoler vers le pays où le rire il est roi.

En été, les balcons y devenaient des salles à manger où le voisin y se régalait rien qu’à l’odeur du persil arabe, du kemoun et l’anis étoilée. Souvent, à l’abri d’un rideau de soleil, les hommes y prolongeaient les plaisanteries du café et les femmes, tout en servant leur progéniture, elles continuaient les discussions entamées sur le chemin du marché. L’après midi ou plutôt aussitôt le repas terminé, Azrine y pouvait venir, le quartier y se tapait une sieste carabinée. Pendant que Blanchette, l’arroseur des rues y rafraichissait le quartier, c’était la grande digestion du quartier. 
Le soir, le balcon y servait à prendre le frais bien sûr mais surtout à prendre la température du quartier. Rien qu’on parlait, même si on avait rien à dire. Les enfants y s’envoyaient des illustrés par le système à poulies et à cordes qu’y z’avaient mis au point pour pas descendre toutes les cinq minutes. Ingénieux comme des intelligents, y donnaient l’impression à leurs parents d’être des Einstein en devenir. Les hommes, affalés dans leur chaise longue, y profitaient du spectacle son et lumière de la rue sous une voute céleste constellée d’étoiles. Ba ba ba, Honoré de Balzac il aurait pas fait mieux !

On entendait les rires fuser à tous propos et aussi les moqueries car pour les pieds noirs, l’ironie c’était une seconde nature. C’était à celui qui critiquait le copain parce que son équipe de football elle avait pris la tannée le dimanche précédent, parce qu’il était coiffé à la bol de loubia ou qu’il était fartasse des cheveux, qu’il avait fait la raie comme le tournant Rovigo, celle qui racontait sa dernière mésaventure au marché ou qui racontait à qui voulait l’entendre que le marchand de poissons, il avait des sardines toutes pas fraiches.

Jusqu’au coucher du chef de famille, le balcon y vivait à mort.

Un jour qui faisait pas nuit comme elle dit la Palice, j’ai voulu encore plus ressembler à Tony Perkins que d’habitude, zarmah, c’était mon sosie. Alors je me suis rasé la moustache mesquinette qui barrait mon visage angélique. Le duvet y me pourrissait la vie et un jour ça m’a pris comme une envie de faire pipi. Attention les yeux. Toutes les filles, j’allais les tomber, rubis sur l’ongle. J’imaginais les petites du jardin Guillemin faire la chaine pour me séduire et tout, et tout !

Seulement, une fois coupée la moustache, plus moyen de la recoller. Tain de tête que ça me faisait ! La honte ! Bou ! Comment j’allais sortir pour taper un match ou pour taper un bain à Padovani ? Et comment j’allais faire pour taper le « paséo » avenue de la Bouzaréah pour mater les filles qui faisaient que « andar et venir » rien que pour se faire draguer par les garçons ? Avec ma nouvelle « tête de pipe », mieux, j’me jette au Kassour où toutes les eaux usées de Bab El Oued elles rejoignaient la mer. Mon ami Boisis, zbarlalah, y vient me siffler pour que je descende. Moi, je sors au balcon en prenant bien soin de mettre les mains devant ma bouche et devant ma moustache qu’elle était plus là. Boisis y comprend pas pourquoi je veux pas le rejoindre en bas la rue. Son frère ainé, son appartement il est juste en face de mon balcon. Alors, y monte chez son frère, y dit bonjour à sa belle soeur et y sort à la fenêtre. J’enlève ma main de devant ma bouche. Et là, ce coulo, il attrape un fou-rire comme si y regardait un film de Jerry Lewis. On dirait qu’il a vu la Joconde sans cheveux. Y rigole, y se tape le cul par terre, tant que ça je suis vilain ? Et plus, y rigole et plus j’ai envie de l’étrangler. 
Reusement que c’est les vacances et que l’école elle est finie ou sinon, je prends le maquis pour taper cao ! Quand il a fini de se fendre la pêche (si j’avais le temps, je vous demanderais de m’expliquer ce qu’elle vient faire la pêche dans ma réflexion) Boisis que la bande elle surnomme Bouzouz, sans se démonter, entre deux fous rires, y m’annonce que, quand le quartier y va le savoir, y va en faire des gorges chaudes. Rien d’autre il a trouvé pour me remonter le moral, ce faux-frère, ce calamar farci. Surtout que c’était sur son insistance que je me suis enlaidi en me rasant la moustache. Zarmah, Tony Perkins !

L’après midi, tous les amis y z’ont défilé sur le balcon du frère de Bouzouz et c’était à celui qui rirait le plus fort et le plus longtemps. Malgré les amis qui se sont évertués à me faire descendre à la rue, j’ai tenu bon durant dix jours à supporter les sarcasmes et les fous rires des couillons de la lune qui se cassaient le ventre de rigolade.

Le temps de faire repousser cette maudite moustache, je suis redescendu en bas la rue, beau comme un soleil, oublieux qu’un jour, un babao y m’avait pris pour Anthony Perkins.





FIN

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