mercredi 11 janvier 2017

Extrait de JONAS DE LA CASBAH D'ALGER de Hubert Zakine






Malgré l’insouciance qui semblait le dominer, Robert songeait bien souvent à son père et mesurait combien son égoïsme avait pesé dans la décision de Jonas. Aveuglé par sa réussite, il en avait oublié la leçon des anciens. Tout au long des années en culottes courtes, le seul leitmotiv de ses parents fut le succès des enfants qui ne devait être subordonné à nulle autre considération que la famille. Mais l’ambition de Robert qui n’était pourtant pas démesurée, risquait d’ébrécher le bonheur du foyer. Il était, à présent, persuadé que le bien-être de ses parents, et en premier lieu de son père qui souffrait visiblement de cette situation, passait avant tout. Au petit matin, quand les effluves embrumés du Kursaal se dissipaient, Robert redevenait le garçon de la casbah, attentif aux besoins des siens. Alors, afin de redessiner un avenir radieux, il rendit visite à sa sœur pour décider le retour de leurs parents à la source vive de leur passé.
Robert entra de suite dans le vif du sujet.
--Papa est trop malheureux loin de sa casbah et de son travail. Quant à manman, si elle dit rien, tu la connais, elle pense à moi et pas à elle.
Pauline coupa la parole de son frère pour abonder dans son sens et crier ce qu’elle avait sur le cœur.
--À Saint-Eugène, ils se sentent exilés loin de tout ce qui était leur univers. Papa, je le sais, marche à côté de sa vie, comme un étranger dans sa propre carcasse. Maman ne reconnaît plus l’homme qu’il était dans la casbah.
--Je sais ! avoua Robert qui poursuivit : je croyais qu’ils s’y feraient mais j’avais pas compté sur le fait qu’ils sont trop vieux pour changer de vie. Papa, il est perdu loin de son quartier. Manman elle s’est jamais plainte mais…
--C’est pas qu’ils sont trop vieux, seulement ils sont trop attachés à leurs habitudes, et surtout à leur environnement !
--Mais j’ai beau chercher une solution qui ferait plaisir à tout le monde, j’en vois pas !
--Parce que tu es aveugle ! La solution c’est que tout redevienne comme avant !
--Mais comment tu veux que ça redevienne comme avant ? Il faudrait que tu acceptes de libérer l’appartement !
--Ça tombe bien. Avec Benjamin, on voulait habiter dans un « chez nous » et pas chez papa et manman ! Ça va accélérer les choses, c’est tout !
--Alors là, c’est réglé !
--Si vous avez besoin d’argent, je suis là, petite sœur. Et Benjamin, il laissera papa retravailler à l’atelier ?
--Bien sûr, sinon, je lui arrache les yeux !
--Raïeb, j’avais une dent contre lui mais il faut pas qu’il trinque !
--C’est sûr, le pauvre ! Surtout qu’il travaille comme un forçat !
--Bon, alors, tu auras le temps de parler à Benjamin tranquillement. Venez manger dimanche à Saint-Eugène, on l’annoncera ensemble aux parents.
Pauline conclut simplement :
--Comme ça, on aura toute la journée pour leur expliquer que c’est mieux pour tout le monde. Il faut que manman, elle se fasse pas trop de mauvais sang pour toi !



 

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