jeudi 18 août 2016

L'AMOUR DU MAILLOT DE HUBERT ZAKINE


Extrait de "L'AMOUR DU MAILLOT" que j'écris actuellement sur une histoire qui raconte le match revanche (histoire réelle) entre le Stade de Reims et le SCUEB à Saint -Eugène et les conséquences sur la carrière footballistique d'un enfant de Bab El Oued.

CHAPITRE 1
--Les enfants, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous apprendre !
N’obtenant pas de réponse, il insista :
--Alors, la bonne ou la nouvelle ?
Comme un seul homme, les cadets de l’ASSE s’écrièrent : la bonne, mssieu !
Alex, l’entraineur était un homme qui respirait la bienveillance envers ses joueurs ! Il les appelait par leur prénom, il les protégeait, en un mot, il les aimait comme un père aiment ses enfants.
--Tenez-vous bien, le grand stade de Reims vient disputer un match revanche contre le SCUEB au stade de Saint-Eugène.
--Waouh! Un match revanche de la coupe de France ? s’exclama Richard Scanapiecco
--Exact ! Et vous savez pourquoi ?
--Pour prendre une autre tannée ? Fanfaronna Hocine Hamad.
--Non, tout simplement parce que monsieur Germain, le président de Reims a expliqué à Guy Buffard que cette défaite lui coûtait beaucoup d'argent. Et Guy Buffard lui a proposé de disputer une revanche à Alger et de garder la recette ! Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils ont retenu la date du samedi 25 MAI.
Les cadets de l’ASSE se demandèrent pour quelle raison, leur entraineur leur tenait ce discours. En quoi étaient-ils concernés sinon le plaisir de voir, en vrai, les vedettes du Stade de Reims?
--Et j’ai gardé le meilleur pour la fin !
--Ah la mauvaise nouvelle ? Demanda Marco Munoz.
--Oui, une sacrée mauvaise nouvelle. Vous jouez en ouverture contre les cadets du SCUEB.
--Oh, purée ! On va jouer devant, Fontaine, Piantoni, Vincent.
Le chahut qui s’ensuivit ne fut qu’enthousiasme et fanfaronnade.
--Purée, la honte.
--Qué la honte ! La classe, ouais !
Les joueurs de l’Association Sportive de Saint-Eugène habitaient pour la plupart le faubourg de Bab El Oued. Ils se connaissaient depuis leur plus tendre enfance, ils avaient appris à lire, à écrire et à compter dans les mêmes écoles communales, avaient tapé dans une balle au cours des mêmes rencontre inter-quartiers, s’étaient inscrit ensemble au R.C. Nelson, F.C.Rochambeau -ou débuta Marcel Salva- au S.C.Algerois, avant de signer, pour les meilleurs d’entre eux, à l’équipe-phare de Bab El Oued, l’A.S.S.E.
Comme tout jeune sportif, Richard adorait évoluer devant un adulte et, si cet adulte était un footballeur confirmé, il n’en éprouvé que du plaisir contrairement à son ami de toujours, Marco qui perdait tous ses moyens.
-- Si je sais que Piantoni y me mate, je vais me faire sac de nœuds sur sac de nœuds!
--Arrête-toi de dribbler, de faire tes temeniek, des passements de jambe ! Joue simple et ça ira tout seul. On les a battu 4 à 0 et 3 à 1 en championnat.
--Soit disant, tu vas pas essayer tes coups de zouzguèfes pour épater les professionnels !
--Mais moi, j’ai pas le cul à zéro comme toi! Je vais jouer comme je sais jouer sans vouloir épater la galerie.
--Va te faire, va !

Richard était petit dernier de la famille Abergel. Maxime, son frère ainé, avant lui, avait évolué au sein de l’équipe réserve des rouge et blanc mais n’avait jamais intégré l’élite du football Saint-Eugénois. A ses débuts, il lui avait prodigué mille conseils mais à présent, il pensait sincèrement que l’élève allait, dans un an ou deux, dépasser le maitre. Aussi, il se contentait d’assister aux exploits de son petit frère sans oublier de le critiquer lorsqu’il oubliait de jouer simplement.
--Pourquoi tu as fait une tchèque au lieu de contrôler ton ballon ?
--C’est un réflexe ! Comme dans la rue !
--Sauf qu’à présent, tu joues plus dans la rue.
--Ni avec une balle. Ajouta Richard pour appuyer le conseil de son frère ainé.
--Un jour, Pierre Ponsetti a fait une conférence. Il nous a expliqué ce que lui avait appris le monde professionnel : tant qu’une équipe a le ballon, l’équipe adverse ne peut pas marquer un but. Ça n’a l’air de rien, mais en réfléchissant bien, c’est frappé du sceau du bon sens. C’est pourquoi, toi qui es meneur de jeu, tu dois garder le ballon et ne pas l’envoyer au petit bonheur, la chance.
--Qué, meneur de jeu, je suis un joueur comme un autre ! En fait, tu me demandes de moins dribbler ?
--Non dribble mais ne perds pas le ballon. Et si tu veux faire un bon match, réussis tes passes !
Et il en était ainsi jusqu’au prochain match.

Comme tous les enfants de son quartier, Richard avait appris le football en disputant de petits matches au sein du jardin Guillemin. Désertée le matin par les mamans occupées par les taches ménagères, cette grande esplanade se voyait envahi par les apprentis footballeurs dans d’homériques rencontres qui se renouvelaient chaque jour. Ils peaufinaient leur technique en laissant libre cours à leur besoin de se dépenser et à leur envie d’imiter les vedettes qu’ils admiraient chaque dimanche au stade municipal ou à Saint Eugène. Leurs journées étaient cadencées par l’école et les jeux de l’enfance dont le football se démarquait dès que le nombre de joueurs était atteint. Parfois un policier municipal venait troubler leur match de rue en confisquant la balle – le ballon était réservé au football du stade – mais dès que le garde municipal disparaissait, une autre balle et la rencontre reprenait.
Richard était droitier mais admirait les gauchers. Le rémois Piantoni et le monégasque Théo lui donnèrent une folle idée : il jouera aussi bien –ou aussi mal – du pied gauche que du pied droit. Pour cela, il décida de ne toucher le ballon que du gauche lors des entrainements, encouragé, il est vrai, par son entraineur qui avait établi sa réputation par un remarquable pied gauche.
--Tu peux pas de contenter de parfaire la technique de ton pied droit, non ? Lui reprochait son frère.
Bien faire et laisser dire, telle aurait pu être sa réponse, mais droit d’ainesse oblige, les conseils de Maxime, étaient paroles d’évangile.
--A force de te prendre pour un autre, tu vas plus savoir qui tu es !
--Mais Maxime, je veux simplement m’améliorer, je veux pas me prendre pour un autre !
Même son de cloche chez les copains de rue.
--Arrête ton cinéma ! Tu es droitier, un point c’est tout !
--Toi tu es un bourrin et ça te suffit ? Répliqua Richard.
--Moi, j’suis un bourrin ?
--Tu sais ce qu’on dit de toi, tape fort et en l’air et tu auras ta place en équipe première!
--Allez va te faire, va ! Avec ton pied gauche, tu vas être le roi des roues libres !
Faire des roues libres ! Quel est l’entraineur qui avait désigné cette façon de shooter dans le vide le premier, toujours est-il qu’un joueur était catalogué de la sorte sitôt qu’il ratait le ballon ?
--Qué, tu m’as vu déjà vu faire des roues libres ? Se défendit Richard.
--A force, à force, tu vas te retrouver tout juste bon à couper les citrons à la mi-temps.
--Vous voulez que j’vous dise, vous êtes jaloux, un point, c’est tout !

A la grande brasserie, plus personne ne parlait du match à venir contre l’Olympique Marengo.
Le Stade de Reims était sur toutes les lèvres.
--Purée, un match revanche, ils vont les manger tout cru. Moi je suis prêt à parier pour un 5-0.
--Mais on s’en fout du résultat ! Reims y vient à Alger, un point, c’est tout ! Et je suis content d’aller au stade les voir jouer !
--Bon en attendant, venez prendre une tannée au pink foot !
La grande Brasserie se voulait le café préféré des amateurs de billard français, de belote et de ping-pong. Mais depuis des lustres, la jeunesse qui vivait autour du jardin Guillemin jusqu’à l’avenue Durando, avait élu domicile dans cet établissement grâce à son scopitone qui damait le pion au traditionnel jukebox des autres cafés de Bab El Oued. Richard ne faisait pas exception à la règle depuis ses quinze ans grâce à la mansuétude du patron Pépète Solivérès. En effet, ici, on respectait un ordre bien établi qui voulait que seuls les jeunes gens de 18 ans avaient le droit de fréquenter les cafés.
Bab El Oued était une ville dans la ville, un quartier de quelques cent mille âmes qui s’était forgé une réputation de travail et de bonne humeur incomparable. Mais Bab El Oued se composait en même temps d’une multitude de quartiers jaloux de leur identité. La basseta se voulait le repère des espagnols, les messageries celui des italiens et alentour se côtoyaient juifs, maltais, mahonnais, français de métropole, arabes et quelques étrangers venus faire fortune en Algérie. Ce melting-pot donna une race méditerranéenne à nulle autre pareille que l’on retrouvait à tous les étages de la société.

1 commentaire:

  1. Fidèle lecteur de votre site, qui retrace à merveille notre ancienne joie de vivre de tous les jours, je tenais à vous remercier chaudement d'avoir ce talent de conteur qui me fait revivre mon enfance et ma jeunesse jusque dans leurs plus petits détails, détails qui sont des trésors à partager entre nous tous qui sommes encore là!
    Encore mille fois Merci.
    Jean SCHEMBRI ( Sidi Moussa, Maison Carrée )

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